Youakim Moubarac,
éléments biographiques
Giulio Romero Passerin d'Entrèves
Y
ouakim Moubarac est né le 20 juillet 1924 à Kfarsghab,
au Liban. Sa famille est de tradition maronite, et il devient prêtre,
comme son père et son grand-père avant lui.
Youakim Moubarac est doté d’une personnalité hors du commun,
et sa vision du monde est très ouverte, à la mesure de sa très
grande culture, orientale et occidentale, et de la vigueur de son intellect.
C’est aussi un personnage paradoxal : homme de paix dans un Liban en
guerre, humaniste dans un Proche Orient déchiré, œcuménique
dans un monde où les religions séparent plus qu’elles ne
rapprochent. Pétri de culture française, et très influencé par
le monde européen, il est également homme du terroir libanais,
enfant de la « vallée sainte », mystique et homme d'action.
Il manie la plume avec élégance et habileté, au service
d’une vision aiguë des problèmes de l'Orient et de l'Occident,
dans leurs relations réciproques et malheureuses.
Il étudie la théologie au Séminaire
Maronite de Ghazir et à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Le Liban, où il plonge profondément ses racines, reste pour
lui un lieu privilégié toute sa vie. C’est là qu’il
nourrit son besoin de dialogue et son activisme pour la paix, son besoin
profond de liens de bon sens entre monde arabe et Europe, et, dans le fond,
tout ce qui le met à l'avant-garde de la modernité politique,
religieuse, et même diplomatique de son temps.
Il arrive en France en octobre 1945, et y finit ses études
au Séminaire de Saint-Sulpice à Paris. Ordonné prêtre
le 29 juin 1947 au Liban, il revient en 1948,
pour poursuivre ses études à l'Institut catholique de Paris.
En parallèle, pendant 18 ans, il assure le service de la paroisse Saint-Séverin.
La France et la culture française lui sont un espace de référence.
Il y installe sa demeure physique et intellectuelle (Saint-Sulpice, Saint-Roch,
l'Abbaye de Jouarre, l'Université catholique de Louvain en Belgique,
mais aussi la Sorbonne, le Collège de France). C’est donc en France
qu’il présente, en 1951, sa première thèse
de doctorat, Abraham dans le Coran. Il rentre ensuite comme chercheur au Centre
national de la recherche scientifique.
De ce mélange franco-libanais vient sa personnalité riche et
complexe : francophile inlassable, mais aussi islamologue, spécialiste
des monothéismes dans leurs variantes juive, chrétienne et musulmane,
qu'il appelait « abrahamiques », historien hors pair de l'Église
maronite et de ses racines « antiochiennes ». De 1950 à 1962,
Moubarac assure le secrétariat de Louis Massignon (l'un des plus grands
islamologues du XXe siècle). En 1959, il commence sa
carrière académique, en enseignant l'arabe classique à l'Institut
catholique. Jusqu'à sa mort, il enseignera dans plusieurs universités
: l'Université catholique de Louvain, Belgique, l'Université Paris
IV – Sorbonne, et d'autres.
Il participe, entre 1962 et 1965, au Concile œcuménique
de Vatican II, au sein de la délégation maronite. Il y travaille
comme tous à la modernisation de l’Eglise, et plus particulièrement à celle
des rapports entre Orient et Occident, entre musulmans et catholiques. Après 1965,
il poursuit son travail de promotion du dialogue inter-religieux, en adoptant
de manière plus marquée à partir de 1975,
la défense des causes palestinienne et libanaise.
À partir de 1985, dans ses recherches et publications,
Youakim Moubarac s’applique à la redécouverte des origines
syriaques de l'Église maronite, en retrouvant le Liban, et en y installant
sa demeure. Sur le versant politique, la préparation d'un concile maronite
(1987-1992), fait sans doute partie de ce retour
aux origines, comme la restauration du monastère de Notre-Dame de Qannoubine,
commencée en 1989, monastère historique dans la
vallée de la Qadisha qui fut pendant des siècles le siège
du Patriarcat maronite (XVe-XVIIIe siècles). De cette période aussi
date (1992) la Coopérative libanaise pour le développement,
initiative de micro-crédit qui cherche à faciliter la réinstallation
des familles déplacées pendant la guerre civile libanaise (1975-1990)
dans leurs régions d'origine.
Mais en 1992, après la décision de Jean-Paul
II de convoquer un synode pour toutes les Églises catholiques du Liban
d’abord à Rome, et non un concile au Liban, Youakim Moubarac revient à Paris,
non sans amertume. Il y reprend son travail académique, mais meurt peu
de temps après, le 24 mai 1995, à Montpellier.
Il repose désormais dans le cimetière de l'Abbaye de Jouarre.
Son œuvre écrite est très importante
et est le reflet dans le versant scientifique de ses combats politiques et
humanistes. Un premier volet en est sa Pentalogie islamo-chrétienne, écrite
dans la deuxième moitié des années soixante et publiée
en 1972-73, qui traduit son désir
ardent de réconcilier les deux monothéismes. Elle fait partie
d’une large série de travaux de problématique proche: Abraham
dans le Coran, sa thèse de doctorat en théologie, puis La
pensée chrétienne et l'Islam des origines à la prise
de Constantinople, sa thèse de 3e cycle en études islamiques,
et enfin ses Recherches sur la pensée chrétienne et l'Islam,
de la prise de Constantinople à Vatican II, sa thèse de
doctorat d'État.
Le second volet en est la Pentalogie maronite, parue en 1984,
qui complète d'autres écrits sur l'Église maronite et
sur le destin maronite en Orient. Il veut y montrer le rôle de vecteur
de modernité par le contact précoce avec l'Europe que joue cette
Eglise au Liban et au Proche Orient.
Les Libanica, enfin, qui sont des réflexions géopolitiques
et culturelles militantes, parues en premier lieu dans la presse, et qui traitent
des destins croisés de la France, du Liban, des Arabes et de la Palestine
sur la scène mondiale.
Réconcilier l'Orient et l'Occident, tel était son rêve intellectuel, sa passion. Il était conscient que l'avenir et le destin du Liban se jouaient dans cette union, qu’il ressentait comme possible sur des bases historiques et culturelles solides. Il est hélas mort avant d’avoir vu son rêve réalisé, si jamais il arrive à l’être. Il aura été en tout cas un moteur important de la marche vers la paix dans le Liban contemporain.
Construit à partir de:
Notices dans Wikipedia, en français, en anglais.